L'histoire de cette saga

(source: Livre "Le phénomène TAXI" Chez Intervista) (texte de Michèle Halberstadt)

 

 

Au début, il y a la neige... ui, au tout début de la route qui allait nous conduire jusqu'au TAXI, il y a, en janvier 1983, cette tempête de neige qui recouvre Avoriaz, petite station qui au début des années 0, servait de décor à un festival du cinéma fantastique qui a révélé Spielberg, De Palma et bien d'autres...

Donc de la fenêtre du coin bar de l'hôtel Snow, le biennommé, où je venais de finir mon émission de radio, je voyais la neige tomber et je n'étais pas de bonne humeur. J'étais à l'antenne du Lundi au Vendredi, de 9h00 à 12h30, et j'adorais mon metier par-dessus tout, sauf durant cette fin janvier où mon programme, consacré à la musique et au cinéma, se spécialisait dans le cinéma fantastique et se tenait donc en direct du festival. Je n'aime pas avoir froid, je suis nulle en ski et je deteste avoir peur. C'est à dire avec quel enthousiasme j'entamais la semaine

 

Je venais de rendre l'antenne et avec Jean-Marie, mon technicien, nous devions nous dépêcher de remballer notre materiel car le patron du bar était pressé d'ouvrir. Soudain, la porte s'ouvrit sur un bibendum bleu marine, escorté d'une petite souris. Le bibendum avait une barbe touffue et de grands yeux marrons, la petite souris était brune avec un regard en acier trempé, et tous deux me regardaient anxieusement. "C'est vous la castafiore??" Ma grande gueule m'avait voulue ce sobriquet qui était devenu mon surnom à l'antenne.

- Alors, voilà, je suis réalisateur, j' ai fait mon premier film, c'est le seul film français de la séléction , il passe en dernier, samedi matin.S'il vous plaît, on voudrait parler du film dans votre émission.

-Samedi matin??? C'est mon jour de repos. Je peux peut-être voir le film avant ??

- Ah non, c'est impossible, le film n'est pas fini, c'est pour ça que l'on passe si tard.

- Mais moi je n'ai pas pour habitude de parler d'un film sans l'avoir vu avant ...

 

La tristesse, la décéption, l'écoeurement qui passe à ce moment dans les yeux marrons du bibendum marine me coupent la parole. Ces deux billes rondes sont devenus noires. Elles me fixent avec toute la peine et tout le dégoût du monde et me disent que je n'y comprends rien, qu'il s'agit d'un SOS et que je suis là peinarde, dans le confort de ma routine, alors que lui rame et que mes principes ne valent rien face à tout le mal qu'il a eu à faire son film, à être sélectionné... Ma mauvais humeur tombe d'un coup, balayée par ma mauvaise conscience.

- Ecoutez, la solution, ce serait que vous passiez dans l'émission Vendredi. J'expliquerai que je n'ai pas pu voir le film et je vous laisserai vous débrouiller pour en parler tout seul. Ca vous va, comme ça?

Bibendum à fait place à nounours. Le barbu rosi de joie et se retient pour ne pas m'embrasser. Même la souris a esquissé un début de sourire

Ils ressortent. Je prends le catalogue pour noter le planning de vendredi le nom du réalisateur et celui du film.

- Je peux vous demander encore une faveur?

Bibendum a laisser la souris derriere la porte vitrée et est revenu tout seul. De sous sa doudounne, il sort un disque 33 tours.

-Voilà, c'est la musique du film. Le type qui l'a composéeest le guitariste d'Higelin, si on pouvait la passer Vendredi quand on en parlera ...

Là je trouve que bibendum pousse un peu. De toute façon, le problême est vite réglé. Les disques partent de Paris J'aidéja choisi le programme qui passera durant toute la semaine.

- C'est pas grave , excusez-moi de vous avoir encore dérangée, et à Vendredi, hein?

 

Le vendredi l'émission se passe bien. Bibendum est passionné éloqient, et donne vraiment envi de découvrir son film. Ce qui me chiffonne, en revanche, c'est c'est que pendant notre entretien et sous nos voix, j'entends dans le casque une vague musique instrumentale que je ne connais pas. Dés que nous rendons l'antenne, le temps d'un disque, j'appelle le technicien qui supervise l'épission à Paris:

- "Depuis quand tu me mets de la musique sous les voix quand on parle? Tu sais bien que j'ai horreur de ça !!"

A Paris le technicien est ahuri:

-Moi aussi, ça m'a étonné, mais il y a un type qui est venu ce matin à 8h00 avec ce disque sous le bras en disant que c'était de ta part , et qu'il fallait absolument le passer pendant que tu recevais ton invité, parce que c'était la bande original du film dont vous alliez parler... Tu veux que je l'enlève?

Bibendum regarde le plafond, l'ai innocent. On ne me l'avait jamais faite celle-là.

 

Le Samedi matin, mon réveil sonne à 8h00. Non seulement il neige toujours, mais je suis obligée de me lever tôt, bien que je ne sois pas à l'antenne , pour aller voir le film de Bibendum.

On a sympathisé durant toute la semaine. On a même dîné ensemble avec la souris, qui est sa monteuse. Mais bon un film français, fantastique muet, en noir et blanc, je crains le pire...

 

A 11h00 du matin, devant la salle de projection, c'est l'émeute. Je ne sais pas comment la rumeur a pu se répandre durant la projection, mais quand je sors de la salle, bouleversée par le film que je viens de voir, cinquante journalistes entourent déjà Bibendum, lequel, ébloui par les caméras, noyé sous les micros, semble chercher quelque chose.

De loin, je lève les bras, les piuces en l'air. A côté de moi, mon grand copain et collègue journaliste Jean-Michel Gravier hurle: "C'est génial !!!!!!" Bibendum sourit et se dirige vers nous.

Et c'est à mon micro qu'il donnera sa première interview de réalisateur dont on dira plus tard qu'il a été découvert à Avoriaz, Car il a suffit d'une projection du DERNIER COMBAT pour que tout le monde connaisse son nom: LUC BESSON.

 

C'est ainsi que naissent les amitiés. La nôtre dure depuis cette semaine là. Une amitié à deux d'abord. Et puis, deux ans plus tard, c'est également en l'interviewant à la radio que je rencontre Laurent Pétin. Lui a déjà rencontré Luc, il l'a même conseillé sur la campagne de promotion du DERNIER COMBAT. Les trois mousquétaires de Taxi sont donc réunis dès 1984.

 

84, c'est l'année où je quitte l'antenne de RADIO 7 pour devenir spécialiste du cinéma américain à Première. C'est l'année où Luc s'apprête à tourner SUBWAY. Pour le rôle principal, il a plusieurs idées. Mais pour l'actrice, il n'en a qu'une en tête: Isabelle Adjani. Cela tombe bien: c'est plus qu'une amie et d'ailleurs, c'est à la sortie d'une de nos émissions ensemble à RADIO 7 que Luc lui dépose en mains propres le scénario du film. Elle diro oui très vite et, un an plus tard, c'est Laurent Pétin qui fera l'affiche de ce qui est dès sa sortie, un succès public, le premier grand succès populaire de Luc.

 

 

Je me souviens de l'unique projection de presse de SUBWAY, la veille de sa sortie, dans une salle des Champs-Élysées. J'avais été transporté par le charme, l'humour, la poésie, la fraîcheur de cette bulle de bonheur qu'était le film. A la sortie, je suis retournée à la rédaction de PREMIERE , me réjouissant de partager mon enthousiasme avec mes camarades. A peine franchi le seuil du bureau, je fus accueillie par un: "Evidemment, toi, t'as aimé!" qui résonne encore dans mes oreilles. Ce film allait marquer la fin de l'idylle entre la presse et Luc. "Commercial", "naïf", "un scénario d'une pauvreté...", tous les arguments étaient déja en place pour un procès aussi vain que ridicule de la critique dite "spécialisée" à propos de Luc et de ses films, sur le thème éternel du "comment le public peut-il aimé ça??" Ce jour-là pour la première fois, je me suis demandé si j'étais vraiment faite pour mon noouveau metier: journaliste de cinéma...

 

Le lendemain, Luc nous invite à déjeuner Laurent et moi. Je nous revois encore, dans ce restaurant de poissons où nous évoquions joyeusement le succès de son deuxième film. A la fin de so repas, Luc, devant son thé au lait, se retourne vers moi avec cet air faussement naïf qu'il prend toujours avant de dire une énormité; " T'aurais pas envie d'écrire?"

Puis il se penche vers Laurent: "Et toi de produire?"

Blanc dans la conversation. Luc, fier de son petit effet, se concentre sur la cuillère qu'il touille doucement dans sa tasse en porcelaine blanche.

-J'ai une idée de film, mais je n'ai pas le temps de l'écrire. Je pars repérages pour LE GRAND BLEU, j'en ai pour des mois. Alors Alors Michèle je te raconte l'histoire et pendant que je suis absent, tu écris et toi Laurent tu lances la production. Ca serait sympa de faire un film ensemble vous trouvez pas? J'ai oublié comment on fait pour déglutir. La peur vient d'envahir mes mebres comme un liquide anesthésiant à effet foudroyant. J'ai forcément mal compris ce qu'il vient de dire. Peut -être qu'il n'a soudain plus tout à fait sa tête?!

- Mais je n'ai jamais écrit de scénario!

- D'accord mais... t'as envie de rester journaliste toute ta vie? Bingo! Jeu, set et match. Touchée, la journaliste. Je viens de me prendre la balle dans l'estomac. Comment a-t-il fait pour deviner ce que je n'ose même pas m'avouer à moi même?

C'est le moment que Laurent choisit pour porter l'estocade.

- Depuis le temps que je lui dis qu'elle devrait écrire...

Et voilà le travail. L'homme de ma vie et mon ami le plus cher viennent de me mettre au pied du mur. Qu'est ce qu'on répond à ca?? Rien. On mesure mentalement à quel niveau vertigineux ils viennent de vous mettre la barre, et on respire un grand coup. Demain je trouverai peut -être une parade mais là, tout de suite, à part me couvrir de honte, je ne vois pas bien ce que je oeux faire, si ce n'est relever le défit.

Août 1986. Le film est en tournage. Il s'appelera KAMIKAZE. Laurent produit avec la GAUMONT. Didier Grousset , ancien premier assistant de Luc, réalise. J'ai fini par écrire mon premier scénario, une version seule, puis l'autre avec Luc. C'est pas difficile une fois qu'on s'y met... Et Luc vient sur le tournage, entre deux voyages en préparation du GRAND BLEU . Ce jour-là, vers la fin août, laurent et Luc ont prévu de se retrouver du côte des invalides. Laurent est à l'heure. Luc est en retard, ce qui n'est pas du tout son genre. Il vient d'attérir en provenance de Grèce, et il est coincé dans les embouteillages. Quand il arrive enfin, avant d'entrer dans l'immeuble où ils ont rendez-vous, Luc attrape Laurent par le bras:

"Tout à l'heure, en venant d'Orly, j'ai eu une idée qui ferait un film rigolo. Qu'est ce que tu dirais d'un taxi qui va à 200 à l'heure et qui te permet de pas rater ton avion?" Laurent éclate de rire. Il faut savoiir que Luc est un fous de vitesse. Quand il appelle, à moto, de l'autre bout du périphérique en disant: "Fais-moi chauffer de l'eau pour une thé, j'arrive", vous avez intérêt à le faire tout de suite parce qu'il sera arrivé avant que l'eau n'ait commencé à boullir. Histoire vécue. Depuis, on a changé de bouilloire...

 

Les années passent. Une bonne dizaine d'années. Les souvenirs deviennent flous, mais les films de Luc sont un bon point de repère.

LE GRAND BLEU. Je suis rédactrice en chef de PREMIERE et notre couverture " La star de Cannes est un Dauphine " reste celle dont je suis la plus fière. Une confidence: c'est Luc qui avait trouvé la photo et Laurent qui l'avait maquetté.

NIKITA . J'ai failli travailler avec Luc sur le scénario. J'avais commencé. Mais je suis passe a la t e te du journal et j'avais trop de travail pour concilier les deux. Laurent, comme toujours, conçoit l'affiche et trouve la grande idée de lancement: " Après le bleu, le noir".

LEON . Luc rencontre Gary Oldman, "la Ferrari", comme il l'appelle pour définir son talent d'acteur. J'ai quitté PREMIERE, Laurent a pris lui aussi son indépendance et ensemble, nous créons ARP Sélection, pour acheter et produire des films.

CANNES 95 : Le Journal VARIETY annonce que Gary Oldma, qui tiendra l'un des rôles principaux de CINQUIEME ELEMENT , compte réaliser au début de l'année prochaine son premier film, produit par Luc Besson. Il a lui-même écrit le scénario, inspiré de souvenirs personnels. L'annonce est alléchante. Derrière l'acteur inspiré, on devine un homme cabossé par la vie... Luc est entre l'Angleterre et les États-Unis, en préparation. Il envoie le scénario qui arrive à Paris un Vendredi. Je le lis le soir même. Quand je le repose et que Laurent me demande:" Alors?", j'ai du mal à en parler, et à parler tout court. J'ai les sentiment d'avoir brûlé aux feux de l'enfer, et en même temps d'avoir été réconfortée par une main fraiche posée sur le front. Tant de souffrance décrite avec tant de compassion... Laurent m'écoute et conclut par: " Et bien il faut y aller"